Shanduore

[hrp : Shanduore est un nom que j'ai "inventé" en cherchant des consonnances "thalassienne", dans ma tête, ça se dit donc "shan-dou-o-ré" genre euh comme "belore" qui se dit "beloré", "manalore" >> "manaloré" etc. Merci de votre compréhension, bon flim.]


Vu comme ça, de loin, c’est une elfe relativement assurée. Détachée, pondérée, adepte de la douce ironie et du petit mot bien placé. Mais peu bavarde, qui élude souvent les questions et dont vous savez en général peu le présent, et ignorez totalement le passé.

Elle ne donne pas son nom de famille. Elle n’en a plus. Si vous creusez un peu derrière le sourire détaché, la notion de « famille » semble rappeler de mauvais souvenirs. Famille ? Laquelle ? Celle qui l’a mise au monde, ou celle qui l’a éduquée depuis l’enfance ?

Les deux étaient étroitement liées, l’une ne vivant que pour servir l’autre.

Oui, maintenant, vu d’ici, on appellerait ça de la servitude. Jamais Shan’ irait jusqu’à le nier à présent. Et pourtant, quand on a été élevé dans un seul but, quand on nous a inculqué depuis la naissance ce qu’il était bon ou non de faire, et combien noble et juste était notre vocation… on ne remet pas ça en cause du jour au lendemain.

C’était un honneur pour les uns d’être dévoué aux autres, de les protéger de sa vie. De garder nuit et jour leurs portes, d’escorter leurs enfants, de placer son épée devant eux, tournée vers l’ennemi.

Qu’ils aient eu des mœurs douteuses, qu’ils n’aient pas été digne d’un tel dévouement, cela n’entrait pas en compte, c’était même un sujet totalement ignoré. On ne on se serait jamais permis de penser une telle chose chez leurs serviteurs.

Non. Même Shanduore, qui aurait pu émettre quelques réserves, ne s’y serait pas autorisée. Jusqu’à ce que.

Parce qu'ils étaient loin d’être des enfants de chœur. Et le fils aîné, élevé dans l’opulence et la pleine conscience de son rang, devait bien être le pire. Tout lui était du. Pourquoi la petite combattante qu’on lui avait assignée, la rouquine qui maniait de manière si gracile ses lames menaçantes, ne lui aurait pas elle aussi été due ?

Et pourquoi la petite gamine naïve qui croit que ceux qu’elle sert ont le cœur noble se serait-elle méfiée ? Méfiée de la famille qui l’avait nourrie, qu’on lui avait appris à révérer et à aimer plus que la sienne ?

Autant dire que quand son instinct s’est réveillé, quand sa propre conscience a enfin pris le dessus sur des années de bourrage de crâne, il était tard. Il était tard dans la nuit. Tard aussi parce qu’elle avait déjà gobé les belles paroles de Vanyel.

Mais pas assez tard, pas assez pour ne pas reculer de méfiance devant ses mains avides. Pas assez tard pour ne pas percevoir la lueur mauvaise dans son œil, sa déception, et son insistance agressive quand elle l’a repoussé.

Son discours avait été parfait, juste qu’il ne collait pas avec son empressement et son attitude. Mais on ne décevait pas Vanyel, on ne désobéissait pas à Vanyel, et surtout on lui donnait ce qu’il voulait ou l’on était puni. Cela avait toujours été ainsi.

Et face au visage incrédule de Shanduore, il n’avait qu’une réaction réflexe. Attraper le premier objet tranchant venu, et lui planter dans la jambe puisqu’elle était là, avancée devant lui, tandis que les mains de la jeune elfe le repoussaient. Allez, ça lui fera une belle jambe haha… c’est le cas de le dire, Vanyel avait toujours trouvé qu’il avait beaucoup d’humour.

Enfoncer la lame et la balader en travers de la cuisse. Il aurait pu trouver mieux, mais sur le moment, c’était son premier réflexe. Il sera plus inventif la prochaine fois.

Il s’était bien acharné cependant. Dégradée. Infirme, devenue inutile, renvoyée par les deux familles. Infirme à vie lui avait-on dit. Elle perdrait sa jambe. Elle ne servait plus à rien. Elle avait été incapable. A leurs yeux.

Les siens pourtant brillaient d'une lueur nouvelle, ils s’étaient ouverts sur une réalité bien différente.

Tout avait été bouleversé, renversé. Ses idéaux, ses buts… elle s’en était reforgé au moins un, pour ne pas sombrer. Guérir, braver cette fatalité qui ne se réaliserait pas. Elle ne perdrait pas cette jambe, cet appui, ses compétences.

Elle s’y accrochait, comme si arriver à changer ça, c’était aussi pouvoir changer tout le reste. Seule. Dans son coin. Petit à petit. Se forçant. Doucement. Difficilement. Au gré des allers et venues de la douleur. Contre tout ce qu’on lui avait prédit, elle y était arrivée. La cicatrice était laide, mais la jambe intacte.

Oui la jambe faisait encore mal. Oui elle ferait toujours mal. Oui, il faudra compenser, pour retrouver ses réflexes, pour faire croire que tout va bien, qu’il n’y a rien. Et prendre peut-être quelque chose, trouver de quoi calmer la souffrance, l'endormir quelques temps.

Une fois ce but atteint, il n’y en avait plus d’autre.

Mais la vie ne semblait pas vide. Non, elle apparaissait pleine d’opportunités nouvelles. Sa couleur était différente. Et qui sait ? Peut-être… même si non, cette « vocation » malsaine était morte, tombée de son piédestal artificiel, néfaste, mais…peut-être… retrouver la maîtrise des armes, de son corps, son agilité, ses réflexes… une partie d’elle qui était là et resterait.

[Fin]