La comptine

J’ai longtemps fait ce cauchemar. Dont je me réveille, encore entre deux mondes, à cet instant où l’on n’est jamais sûr de s’il fut réel un jour, ou non. Ma première peur est qu’il ne s’est jamais réalisé. J’inspire violemment puis soupire, en me souvenant qu’il est bien réel.

Et alors, un filet de culpabilité m’enlace. Je regrette sans regretter. Aussi je le laisse faire, il se dissipera au matin, comme d’habitude. Et je me rendors, bercée par une comptine, la seule durant une année entière, qui m’a aidée à bien dormir.

Deux gardes à la grande porte,
Et un à la petite,
Trois gardes devant sa porte,
Et une devant son lit,
Mes frères et mes sœurs,
Tout autour répartis,
L’un prenant son tour de veille,
Les autres dormant armés,
Prêts à bondir sur l’ennemi.

Deux gardes à la grande porte,
Aucun à la petite,
Deux gardes devant sa porte,
Le troisième à l’agonie,
Mes frères et mes sœurs,
Toujours endormis,
Qui ne se réveilleront plus,
Le veilleur est égorgé,
Leur ancienne soeur les a trahis.

Deux gardes à la grande porte,
Aucun à la petite,
Trois cadavres devant sa porte,
Un troisième au pied de son lit,
Mon acier dans son cœur,
Et ses yeux ahuris,
Car sur deux jambes effilées,
Je me tiens debout devant lui.

Deux cadavres à la grande porte,
Un autre à la petite,
Une grande maison morte,
Où le silence fait trop de bruit,
Se répand la chaleur,
La fumée s’élève des toits gris,
Je m’éloigne apaisée,
Tandis que brûle enfin le nid.